La photo buissonnière
Publié le 2 Avril 2022
Bonjour à tous,
Lors de mon dernier (petit) périple en compagnie de mon fils, il m'a été donné de faire l'heureuse rencontre de Gisèle et Guy, propriétaires d'une belle maison dans les Landes, faisant chambres d'hôtes.
Nous avons eu lors des trois soirées passées en leur compagnie, de nombreuses et longues discussions après nos journées de randonnées et de visites dans les Pyrénées Atlantiques. Entre autres, une conversation pour le moins intéressante a éveillé ma curiosité. Guy, aujourd'hui retraité, a évoqué avec intérêt son métier d'instituteur en me parlant de "La photo buissonnière". Une idée tout à fait novatrice pour l'époque puisque l'on se trouve dans les années 1970/1980. A l'époque, l'école et les instituteurs étaient bien différents qu'ils ne le sont de nos jours. La blouse était de rigueur, surtout dans les petits villages (oui oui, j'ai connu la blouse !) et les maîtres d'écoles étaient quelquefois très autoritaires. Je peux même aller jusqu'à dire que certains étaient méchants, cruels voire obscènes...Même si cela ne me concernait pas directement, j'ai pu assister à des scènes qui choqueraient tout le monde aujourd'hui.
Et puis, il y avait les autres. Les "instits" comme Guy, qui ont donné leur vie entière, non seulement au savoir des enfants mais également à comment donner l'envie d'avoir envie d'aller à l'école et d'apprendre soi-même tout en apprenant aux autres et en s'amusant. Il est le créateur d'un concept novateur pour l'époque, la photo buissonnière.
Rappelons qu'à la fin du XIXe siècle, l'école et surtout l'instituteur nommé le maître d'école avait des rôles multiples. Il possédait un rôle d'enseignement la journée, destiné aux enfants et un rôle d'information le soir, pour les adultes. En plus il avait un rôle social en faisant fonction de secrétaire de mairie.
Sa fonction auprès des adultes le soir remplaçait la veillée d'autrefois et faisait diversion à la monotonie de l'existence rurale. Il enseignait les matières classiques, passait des projections lumineuses et répondait aux thèmes divers et variés comme "Comment évaluer la superficie de mon exploitation ?" ou "Comment rédiger une lettre de requête ?" etc.
De ces fonctions diverses qu'il détenait dans le village, il ne reste de nos jours que l'enseignement des enfants. C'est pourquoi Jacques Perriault* dans les années 70 s'est posé la question suivante : "Est-ce que l'école ne fonctionnait pas plus largement dans les villages à la fin du XIXe siècle qu'elle ne le fait de nos jours ?".
Sans redonner au maître l'ensemble de ces fonctions d'antan, est-il possible de faire en sorte que l'école redevienne le lieu où se traite l'information locale ? C'est alors qu'il a rencontré Guy, jeune instituteur à Hastingues et détenteur d'une idée pour le moins originale et totalement novatrice.
L'idée :
A partir de la simple hypothèse : Comment la photo peut contribuer à mettre en évidence le rôle de l'école ?. En partant du postulat inverse, à savoir, que c'est l'enfant qui arrive à l'école avec des informations à traiter qu'il puise dans son environnement proche et non celle de la théorie que l'on a de l'élève qui vient à l'école pour recevoir des informations (et non pas une éducation).
En pratique :
Deux appareils photos (un polaroid pour l'initiation puis un deuxième appareil pour l'expérience réelle) disponibles dans la classe pour que les enfants prennent une photo de ce qui les intéresse, en dehors du temps d'école et du contrôle du maître, afin d'en reparler ensuite en classe. Il est bien connu que les enfants s'enseignent des connaissances entre eux.
Certains enfants ont commencé par photographier les buissons, d'où le titre de la photo buissonnière.
Dans quel but ?
Le but n'était pas de répertorier toutes les informations et d'en faire des thèmes spécifiques mais plutôt de comment construire un dispositif de traitement de l'information afin d'examiner s'il est accepté ou non par le maître et les élèves. Le projet était d'étudier l'école comme lieu d'apprentissage déterminé par le groupe. L'enfant étant considéré comme le vecteur principal d'informations puisées dans son environnement proche et social. Le tout était de savoir si l'école serait capable d'accueillir ses informations et les traiter.
Il ne s'agissait pas non plus d'exclure le programme officiel de l'école mais plutôt de gérer les informations apportées par les enfants et savoir si elles pouvaient être incluses à celui-ci.
Un principe simple :
Jacques Perriault a écrit : "Tout élément de l'environnement peut devenir une ressource d'information s'il constitue la réponse à une question qu'on se pose, ou que celui qui le présente conduit l'auditoire à faire se poser. Par conséquent, l'enfant qui apportera une information pertinente, perçue comme telle par le groupe, sera dans la durée de cette fonction l'informateur du groupe."
Un équipement simple et peu coûteux : un appareil photo simple avec une mise au point fixe et un obturateur, un magnétophone à cassette (oui on est dans les années 70/80), et des fiches bristols.
Des concepts simples et faciles à réaliser :
- l'expérience de base était de voir si tout ceci était possible et ce, au niveau des élèves, du maître et du concept.
- proposition faite aux enfants de capter dans leur environnement des informations ou des questions qui pourraient être traitées à l'école.
- pas de temps imparti pour la prise de vue. L'enfant pouvait garder l'appareil une journée entière, deux jours ou une semaine. Il pouvait donc utiliser l'appareil quand il le souhaitait.
- la prise d'une photo permettait non seulement de fixer le temps mais également pour l'enfant de montrer via la photo, ce qui l'avait intéressé.
- la photo devait être accompagnée d'un commentaire de l'enfant expliquant le pourquoi de la photo choisie.
- il fallait bien entendu qu'il y ait un vrai intérêt ou questionnement dans la prise de vue rapportée par l'enfant. Tout ce qui était du domaine de la photo plaisir ou le fait de faire plaisir au maître était rejeté.
La résultante :
Une toute autre approche de l'école. Un concept novateur qui permettait à la fois d'inclure le programme classique tout en étant abordé d'une manière moins ennuyeuse assise sur sa chaise. En effet, la rencontre avec un chevreau allaitant sa mère ne pouvait se faire qu'à l'extérieur de la salle de classe.
La photo étant un des supports idéal pour figer un instant T, elle permettait également de responsabiliser l'enfant car il devait prendre soin de l'objectif. En ramenant sa photo préférée en classe, le petit commentaire expliquant la prise de vue incluait le fait de prendre la parole devant tout un groupe. C'est autre chose que de réciter une poésie que l'on a dû apprendre par coeur... Et dans le cas où le commentaire était vide, ne sachant pas expliquer pourquoi il avait pris cette photo, cela permettait de déclencher la narration de ses camarades de classe.
De ce fait, une interaction entre le maître et les élèves s'établissait instantanément au lieu que le maître ne soit le seul à parler.
La prise de photo n'est pas forcément chose facile pour les adultes, et encore moins par les enfants surtout dans les années 70/80 ou l'éclairage et le flash n'étaient pas automatiques. Les clichés ne s'effaçaient pas non plus sur un simple cliquement de doigt, il fallait d'abord développer la photo pour savoir si elle était réussie ou non. Ils ont dû apprendre à se positionner correctement, dos au soleil, à cadrer, à ne pas mettre les doigts devant l'objectif, à ne pas prendre n'importe quoi en photo, etc. Un bel apprentissage...
Résumé :
De nos jours, les instituteurs ont remplacé les maîtres d'école. Leur rôle se limite à enseigner un programme bien ficelé et à boucler le dit programme fin juin avant les grandes vacances. Vu sous cet angle, on peut aisément comprendre pourquoi nos enfants s'ennuient dans leur classe. A part pour certains qui arrivent à s'accrocher à cette méthode, les trois quarts s'ennuient fermement et ne trouvent aucun plaisir en dehors de la cour de récréation à venir étudier. Aucun échange d'informations n'est possible ni même envisagé. Plus aucune interaction entre eux, on leur demande de s'asseoir, de ne pas parler et d'écouter le programme peut réjouissant. Il ne faut peut-être donc plus s'étonner de la non-réussite de certains enfants et comprendre ainsi ce que certains nomment "l'échec scolaire".
Bien à vous...
*Jacques Perriault est celui qui a écrit La photo buissonnière sur l'idée de Guy Puyo